Que voir au Festival Off d'Avignon 2024 ?

Le Festival Off d'Avignon est un moment festif à bien des égards, l'un d'entre eux étant son petit côté "pochette surprise" : on est tenté par des dizaines de spectacles, on en choisit un au hasard, et on tombe parfois sur du bon, parfois sur du moins bon, et parfois sur de l'exceptionnel. Ce serait très amusant de jouer à piocher ainsi à l'aveuglette si tout cela n'avait pas un coût certain, en temps comme en argent : la plupart des festivaliers ne resteront qu'une ou deux journées, et ont un budget limité. Alors, autant ne pas se tromper, et c'est pourquoi je veux vous parler des découvertes que j'ai faites cette année et qui ont su m'enthousiasmer.

Valkyrie, par la Cie Lencre

Dans l'obscurité d'une guerre toute proche et d'une mort certaine, cinq Amazones révèlent leurs failles et leurs angoisses, avant de partir à l'assaut d'Athènes, ville emblématique du patriarcat.

Vous l'aurez compris, Valkyrie est une pièce féministe, et c'est un genre délicat, qui peut vite tourner à la caricature androphobe. Et pourtant, les auteurs ont parfaitement évité cet écueil. En effet, ils interrogent aussi les paradoxes et les apories du féminisme, n'hésitant pas à poser les questions qui fâchent : qui est la plus féministe, de la fille habillée bien court et habituée des réseaux sociaux ou de celle qui la fustige ? Faut-il systématiquement chercher à concurrencer les hommes ? Les femmes ont-elles à craindre le regard des autres femmes comme elles craignent celui des hommes ?

La liste est longue encore des questions soulevées par la pièce, qui en profite au passage pour brosser des caractères de femmes (et de comédiennes) bien trempés, de guerrières qui, comme toutes les guerrières ont de multiples failles à leurs cuirasses.

L'écriture est portée par une mise en scène atemporelle, en forme de Mad Max intimiste - notez l'oxymore - et surtout cinq formidables comédiennes-chanteuses-danseuses, très différentes les unes des autres, mais toutes aussi attachantes et formidables, comme autant de facettes d'une féminité qui se cherche et s'interroge dans son rapport au monde, et plus particulièrement aux hommes.

Cette pièce a tout particulièrement emporté l'adhésion de Loélie : je pense que les adolescentes trouvent un reflet fraternel (ou sororal, si vous préférez) dans ces figures de femmes qui leur tendent la main dans la construction de leur féminité.

Sonorités de Yu : Ramasser le bracelet en jade, par l'Opéra de Yu

C'est Avignon que l'Opéra de Yu a choisi pour se produire pour la première fois en Europe afin de faire découvrir son art au public occidental. Si vous faites partie de ceux qui pensent avoir déjà tout vu au Festival Off, ce spectacle est fait pour vous. Tout y est pour nous d'une absolue et fascinante nouveauté, à explorer en trois spectacles de tonalités et de genres différents, qui se succèderont sur la période du Festival.

Le premier d'entre eux est Ramasser le bracelet en jade, un court opéra comique à l'argument minimaliste : la jeune Sun Yujiao, une jeune fille pauvre, est laissée seule chez elle par sa mère, partie assister au culte. Alors qu'elle brode sur le pas de sa porte, elle est abordée par l'élégant Fu Peng, qui feint de vouloir lui acheter des poulets afin de pouvoir l'aborder. Il lui déclare sa flamme à laquelle elle n'ose répondre explicitement. Il décide alors de laisser tomber un bracelet en jade devant sa porte avant de s'en aller : si elle le ramasse et le porte, ce sera un aveu d'amour. Après moult tergiversations, Sun Yujiao ramasse et enfile le bracelet, mais elle est aperçue par la marieuse Liu. Cette dernière la pousse à lui révéler son inclination pour Fu Peng, puis s'engage à conclure sous peu leur mariage.

On le voit, l'intérêt du spectacle réside moins dans son intrigue que dans la manière dont celle-ci est traduite en chanson et en danse. Si les voix et la musique peuvent paraître un peu déroutantes, au début, on se laisse vite emporter par leurs modulations et leur percussions. Mais ce sont surtout les danses et la pantomime qui m'ont fascinée.

En effet, tout l'art des artistes d'opéra chinois, dont Wu Suzhen, artiste multi-primée de la troupe, est une grande représentante, consiste dans leur habileté à jouer de leurs manches, de leur tresse et de la moindre partie de leur corps, dont les yeux,qui sont d'une mobilité extrême, et expressifs.

Pour ma part, je suis restée complètement admirative devant le travail de la main et des doigts, d'une extrême mobilité et d'une grâce extraordinaire.

C'est une expérience extrêmement enrichissante et il faut absolument saisir l'occasion d'aller voir ce spectacle rare.

Tout le monde écrit des chansons, par Julien Joubert

Je ne sais ce qu'il en est pour vous, mais pour moi, l'écriture musicale est un mystère. Certes, je sais lire une partition, la question n'est pas là. C'est plutôt que je me demande bien comment on arrive à créer une chanson, comment on arrive à penser la mélodie qui fera mouche et créera non seulement un morceau cohérent, mais même un tube, et parfois un chef-d'oeuvre.

C'est cela que Julien Joubert, compositeur de musique lui-même, nous explique dans son spectacle : les lois de l'harmonie, comment on raccorde les temps musicaux à la prosodie, comment on crée une mélodie pour qu'elle nous surprenne sans nous dérouter. Ainsi présenté, vous devez penser qu'il s'agit du spectacle le plus ennuyeux du Festival Off. Ce serait une grave méprise de le croire car toute la salle a ri aux éclats durant les 50 minutes que dure Tout le monde écrit des chansons, et j'en suis sortie à la fois hilare, instruite et convaincue que Julien Joubert est le professeur que j'aimerais être pour mes étudiants, tant on aurait envie qu'il nous en apprenne toujours davantage. Sans compter que Julien Joubert va vous prouver que le temps de son spectacle, vous pouvez composer, sous sa houlette, vous aussi, une chanson.

Ce one-man show musical est un véritable tour de force et, si vous souhaitez le voir, je vous conseille fortement de réserver vos places car il affiche sans cesse complet.

Cabaret Canaille

Si vous voulez terminer votre journée en Avignon avec des paillettes plein les yeux et le coeur, rendez-vous au show burlesque de Cabaret Canaille, qui prend place dans le magnifique écrin du théâtre Rouge Gorge.

En une heure de temps, Valentina del Pearls et sa troupe vous retracent toute l'histoire de l'effeuillage à travers des numéros mêlant la danse, le chant et l'acrobatie contortionniste.

C'est beau, c'est magique, c'est drôle, c'est raffiné ; en un mot, enthousiasmant. Les artistes ont des physiques très divers, et ils sont tous beaux et attachants. Les numéros sont variés et nous montrent toutes les facettes possibles du burlesque, dans une exécution parfaite et avec une chaleur humaine communicative, si bien que la salle, un peu timide au début (car composée de festivaliers visiblement plutôt habitués à des spectacles plus conventionnels), a fini dans une apothéose d'applaudissements et d'acclamations.

C'est un spectacle qui fait du bien en des temps où l'on croit que pour être séduisant il faut être formaté, et où l'on a besoin de montrer qu'on peut dévoiler un corps dans la joie et l'élégance.

Là encore, la réservation est plus qu'obligatoire pour espérer obtenir une place !

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