La plupart d'entre ceux qui seront venus découvrir le spectacle Humanistes, les grands discours de Mirabeau à Badinter, ont la chance de vivre dans une république. Y étant nés, nous n'en voyons plus le privilège qu'elle constitue pour nous, et surtout les combats qui ont été menés par de grands hommes pour la faire naître, la faire vivre, et parfois ressusciter. C'est pour nous rappeler ces combats, et la fragile splendeur de l'idéal républicain attaqué de toute part par ceux qui voudraient confisquer le pouvoir pour leur intérêt propre, que Pierre Jouvencel a écrit ce long monologue.
Un monologue à plusieurs voix
Pierre Jouvencel a conçu son spectacle comme un seul en scène, dont il est le fil directeur : il est l'unité dans laquelle vient se loger une pluralité de voix, celles de tous ces humanistes auxquels il prête la sienne, dans un ordre chronologique : Mirabeau, Olympe de Gouges, Dufay, La Fayette, Hugo, Gambetta, Jaurès, Briand, Jean Zay, Mendès France, Simone Veil, Badinter s'incarnent successivement dans l'auteur interprète. Ce dernier met ainsi en valeur l'idée de lignée républicaine, par-delà la variété des thèmes abordés : la constitution de la République, le droit des femmes, le droit des enfants, la lutte contre la pauvreté, la lutte contre le fanatisme, la lutte contre le nazisme, le droit à l'avortement, l'abolition de l'esclavage ou de la peine de mort. Tous ces sujets sont des facettes de l'attachement aux valeurs de la république : Liberté, Egalité et enfin, Fraternité.
Le choix des extraits pourrait toujours être contesté : choisir, c'est renoncer. Mais celui que Pierre Jouvencel a effectué est pertinent pour retracer à la fois l'histoire de la république française et l'ensemble de ses valeurs et de ses luttes en une petite heure de temps, tout en liant les discours des grands hommes par celui qu'il développe lui-même, démontrant ainsi à la fois la cohérence et la vulnérabilité de l'idéal républicain.
Place aux textes
La grande sobriété du dispositif scénique conçu par Alexandre Delimoges (un escabeau servant de tabouret, un jeu d'éclairage simple : un éclairage d'ambiance froid, un autre plus chaud, et un éclairage principal pour resserrer parfois le regard sur l'acteur) est au service de l'élément clé du spectacle : la mise en valeur des textes. Ce sont eux qui ont la vedette, portés par l'interprétation impeccable de Pierre Jouvencel.
Le grand risque de ce type de spectacle, c'est souvent l'acteur qui en fait trop, pour montrer à quel point il est habité ; dans ce cas, on assiste à une démonstration d'ego bien plus qu'à une véritable proposition d'acteur.
Pierre Jouvencel nous propose exactement l'inverse : son interprétation est toujours juste, sa scansion impeccable. Il respecte les textes, le rythme voulu par l'auteur, tout en leur insufflant force et naturel. Ces discours qui ne nous sont plus accessibles que par le truchement du papier (dans de rares cas, par l'entremise d'un document télévisuel ou radiophonique) prennent soudain chair, et l'on se surprend à imaginer que c'est bien leur auteur que l'on voit face à nous, ressuscité par la magie d'une mise en scène.
Si vous avez raté ce spectacle qui m'a transportée et souvent mis les larmes aux yeux lors du Festival Off d'Avignon, sachez qu'il a rencontré un tel succès que plusieurs dates de tournée vont bientôt être programmées, dont je ne manquerai pas de vous tenir informés !
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